Chapitre 10 : Images de la vie captive au stalag VIIIC10-D : Baraque 11: Le Théâtre et la Chapelle. A) Le Théâtre. 1) La
troupe des Fol's Sag's : du 5 juillet 1940 au 5 juillet 1941. Connaissez-vous
"Les
Fol's Sag's"? Ce titre
lapidaire est la contraction de "Les Folies Saganaises", théâtre du stalag VIIIC de Sagan que nous avons déjà évoqué à
travers son orchestre dans le chapitre précédent. C'est à l'automne 40 que ce
luxueux théâtre a ouvert ses portes. Il regroupait 80 acteurs et musiciens,
souvent professionnels dans le civil. Fut-il le meilleur des
théâtres des camps des prisonniers de guerre de cette époque, comme l'ont
prétendu d'anciens prisonniers ? Il semble en tout cas avoir
été privilégié, bénéficiant de l'appui des autorités allemandes assurant le
prêt d'un certain nombre de costumes venant de Berlin. Cela est-il dû au fait que
le créateur de ce théâtre est un officier allemand, le lieutenant Becker,
membre nazi particulièrement influent, responsable de la propagande de la
Wehrmacht auprès du colonel Patermann, commandant du camp ? Becker a favorisé toutes
les activités artistiques, intellectuelles et religieuses en vue de maintenir
le moral des prisonniers et de donner à l'extérieur, tant en Allemagne qu'en
France, une belle image de la vie en captivité en prenant comme exemple le
stalag VIIIC. Pierre Mordacq, homme
principal de confiance du camp à partir de décembre 1943, note dans son
rapport sur les activités du stalag rédigé après sa libération que Becker a
même fait tourner un film intitulé "Prisonniers". Les P.G.
étaient contraints d'y participer et de se soumettre à la mise en scène qui
était parfois loin de refléter leur vécu. On apprend aussi par Paul d'Hallaine, n° 23631, que
les actualités de cinémas français et allemands ont largement diffusé les
images de spectacles des Fol's Sag's. Ce théâtre qui fait la joie de tous, prisonniers,
gardiens, a-t-il toute liberté d'expression ? Reste-t-il dans les limites de
la "geprüft" exercée par Becker ? Louis Brindejonc écrit dans "Le soleil est au
bout du voyage" : "Si je ne
décelais dans les expositions, dans les spectacles qui nous furent offerts
par nos camarades, aucune bassesse, aucune flagornerie vis-à-vis du
vainqueur, par contre la censure fut souvent trompée par une habile
stratégie, une savante utilisation du vocabulaire et du jeu de mots. Sur ce
terrain nous étions les plus forts et les moqueries, les allusions à la
lourdeur de nos gardiens qui arrivaient à passer la rampe étaient-elles ressenties
dans nos rangs avec une intense jubilation et comme une victoire." C'est dès l'été 40 que
Becker repère et structure les compétences artistiques des prisonniers
français. Dès le 5 juillet A cette époque la troupe
théâtrale de Delas n'a qu'un bout du terrain sablonneux du stalag pour se
produire sur une scène montée sur des tréteaux. Patoum se souvient bien des
concerts en extérieur avec Bébert et les autres. Le 10 juillet 40, Antoine Pagni, matricule 34342, écrit dans son
carnet- sa fille Simone nous en permet l'accès- qu' il a assisté à un concert
en plein air donné par des
prisonniers artistes, et même professionnels, au nombre de 15 : "Ils jouent vraiment bien, nous sommes distraits pendant 2 ou 3 heures
et le temps passe vite. Une chanson me fait venir les larmes aux yeux :
"j'attendrai ton retour" et je pense à ceux qui là-bas
m'attendent." J'attendrai le jour et la
nuit, j'attendrai toujours ton retour… le temps passe et court en battant
tristement dans mon cœur si lourd… dit
la chanson à succès de 1938
interprétée par Rina Ketty. A partir de 1940, cette
chanson devient pour les prisonniers et leurs épouses l'illustration de leur
séparation. Et c'est bien souvent qu'on l'entend partout en France et en
captivité. Le 12 octobre 40, l'atelier Île de France
s'affaire aux finitions d'un magnifique théâtre. Nous le savons par le carnet de Joseph Guérif dont
des extraits nous sont transmis par Michelle, épouse de son fils Bernard : "les artistes décorateurs préparent la salle
des fêtes. Eh! Oui une belle salle des fêtes, luxueuse même pour un camp de
prisonniers. Demain séance d'ouverture, ça promet." Le dimanche 13 octobre, c'est par
un concert qu'est inauguré le nouveau théâtre. Joseph Guérif écrit : "J'ai passé un très bon dimanche,
bien occupé, terminé par le concert très réussi donné par les prisonniers
dans la salle des fêtes magnifiquement décorée. Quel délassement cette bonne
soirée !" Louis Brindejonc dans
"Le soleil est au bout du voyage"
parle de la situation privilégiée des artistes : … C'était la "High Society", la bourgeoisie du camp. Certes
la situation en son sein était enviable et enviée, mais je crois pouvoir dire
qu'elle ne fut jamais critiquée, car c'est grâce aux camarades qui s'y
produisaient que nous devons ces instants précieux pendant lesquels miradors
et barbelés s'effaçaient pour permettre l'évasion intellectuelle et
l'illusion d'une vie normale. Regardez bien cette photo
originale des archives de Maurice Scudeller transmise par ses enfants Maurice
et Jacqueline. Notez que les prisonniers du 1er rang sont assis au
ras de la scène. Ils regardent et écoutent les musiciens costumés en marins.
Tous les autres ont le visage tourné vers le photographe. La chaise vide est
sans doute la sienne. Qui est-il ? Désigné par Becker ? Un prisonnier ou un
garde allemand ? Cette magnifique salle des
fêtes, ce vrai théâtre, Becker en a confié la construction aux 3 architectes
de "l'atelier Île de France" localisé pour l'instant dans un lavoir de la baraque
12 où les peintres, R. Marcou, Pierre Rousseaux n°12680, Jean Boulard n°
32813 et H.A. Rougier s'en donnent cependant à cœur joie multipliant
aquarelles, gouaches, toiles… grâce à la générosité des autorités allemandes.
Les architectes sont Henry
Beauvois n° 25885, Henri-Ernest Giscard (né le 9-07-1906 à Saint-Denis),
Raymond Mothe dit Ray Mothe n°50576. Tous les 3 exercent ce métier dans le
civil. Les voici, de gauche à droite, sur une photo de l'album de Ray Mothe.
que sa fille Florence nous a permis de consulter et photographier à loisir. Je vous ai déjà présenté au
chapitre 8 Ray Mothe, peintre réputé pour ses élégantes silhouettes de
femmes. Excellent baryton, il est
aussi chanteur d'opérette au stalag. Suite au départ de Delas, parti
pour un nouveau stalag où il a été transféré avec des prisonniers
nord-africains, la troupe théâtrale désormais nommée Fol's Sag's a un nouveau
directeur. Son successeur est Jean Vicherat, n° 52323, qui deviendra aussi en
décembre 40 le directeur général du journal du camp : " Le Soleil
Saganais", supervisé lui aussi par Becker. Regardez en bas à droite de
ce numéro spécial de novembre 42 : Vu Becker Sdf Z . Sdf :
Sonderführer, grade spécial créé au moment de la guerre pour les adjoints du
Commandant du Stalag non militaires de carrière. L'homme de confiance Pierre
Guérin écrit dans un rapport remis aux archives militaires de Caen en 1948
que Becker était un instituteur borné farouchement anti-français. Jean Vicherat est aussi
chef de baraque et en tant que tel bénéficie d'une chambre qu'il partage avec
Léon Tille et René Beaux. C'est ce que nous a conté Patoum en précisant que
le garde allemand leur apportait le café tous les matins. Au théâtre, Jean Vicherat
choisit le pseudo de Jean de Lébrijes, nom sous lequel il écrit des poèmes,
des textes de chansons… En octobre 40 ce qu'il
nomme " Aux Fol's Sag's, de Fitte
est secrétaire, mais aussi acteur à l'occasion, et surtout costumier (Alain
Cauchy m'a écrit que son beau-père avait appris le métier de tailleur au
stalag. Dans le civil, il était commissaire du gouvernement au tribunal
administratif de Rouen). Voici la photo de ce
premier bureau issue de l'album de Henri de Fitte, l'homme aux lunettes.
Celui qui téléphone, c'est Vicherat. … c'est du moins ce que je pensais
jusqu'à ce que Alain Cauchy, le gendre de Henri de Fitte me signale que les
deux hommes s'étaient amusés à inverser leurs rôle pour la photo ! C'est donc
Henri de Fitte (décédé en décembre 2012) qui est debout au téléphone. Dans son album Henri de
Fitte a collé la photo des premières représentations du "vrai"
théâtre : Octobre 40 : Madame la Marquise. Le
Lycée Papillon. A partir de 1935, c'est le
groupe orchestral "Ray Ventura et
ses collégiens"(dont Patoum deviendra le batteur après 1945) qui interprète ces chansons à sketch,
symbole de la bonne humeur d'avant-guerre. "Tout va très bien Madame la
Marquise …" chant d'humour noir que "les
collégiens" reprennent sur des paroles de Misraki. En fait les choses ne
pourraient aller plus mal si bien qu'à la fin de la chanson il semble que la
marquise ne possède plus rien d'autre que son téléphone. Sur la photo, c'est
René Lafforgue qui la représente. Ses serviteurs sont Lefèvre, Gibert, Gaston
Joly Jean Charquet. Le groupe de Ray Ventura se
délectera aussi de "Au lycée Papillon", la fameuse chanson créée en 1936 par le comique troupier Georgius. Je ne
sais si, comme moi, dans votre jeunesse, vous vous êtes amusés à fredonner
les réponses délirantes que donnent les 6 élèves à l'inspecteur venu vérifier
leurs connaissances scolaires. Au stalag, l'inspecteur,
c'est Arthur Pauchard et ses élèves sont Gibert, Lefèvre, Charquet :
chansonnier à Paris, Lafforgue, E. Gadoux et Joly qui, interrogés tour à tour
y vont de leur couplet solo. Le refrain repris en chœur
par toute la classe, vous le connaissez : On n'est pas des imbéciles / On a mêm' de l'instruction / Au lycée Pa-pa.../ Au lycée Pa-pil.../Au lycée Papillon. Par
le Soleil Saganais on apprend que le foyer, aménagé lui aussi en octobre 40,
recevait le matin et en début d'après-midi les prisonniers étudiants de
"l'université du stalag". L'après midi, à partir de 16h on pouvait
attendre une place pour boire, jouer aux cartes, aux échecs, écouter les
musiciens jouant des fox et des tangos… En
cette fin d'année 40, Joseph Guérif note dans son carnet - merci à Bernard
Guérif et Michelle de m'en avoir confié des extraits - les spectacles
auxquels il a assisté : Le 5 décembre, les délégués
du CICR ont pris ces photos du cirque et de l'orchestre de jazz dont le
batteur au centre est bien sûr Patoum.
30/12/1940. Nous
préparons un petit concert qui promet d'être très bien. Nous avons des
professionnels du théâtre et de la musique ici, qui vont se charger de nous
régaler....Nous répétons "Les godillots…" et "La rose au
bois" pour le concert du 1er de l'an.... Les artistes des Fol's
Sag's travaillent les airs connus comme "Les godillots sont lourds"
avec leurs copains de la baraque 14, pour chanter ensemble le nouvel an. Ils
partent aussi en "tournée" à l'hôpital du camp le jeudi 30 janvier 41 pour donner à leurs camarades malades un léger goût
du "gala de la chanson française" Le mardi 21 janvier les Fol's Sag's
avaient offert au théâtre à leurs amis et invités 2 concerts de haute
tenue sous la direction de Maxime Corroënne. Dans le répertoire
particulièrement intéressant voisinaient "L'Arlésienne" de Bizet,
une "Nocturne" de Chopin… des compositions de René Beaux sur des
poèmes de J. de Lébrijes. L'un d'eux "Evasion" avait été composé tout spécialement pour "Krabansky, merveilleux artiste qui sut
mettre en valeur les motifs de cette belle œuvre… Il avait su auparavant
restituer avec bonheur l'ambiance si caractéristique des chants russes de
Lalo". C'est dans le Soleil
Saganais n°5 du 16 février 41 qu'un article de Th. Gouin intitulé
"Musique" parle de ces 2 concerts et du nouveau chef du groupement
artistique des Fol's Sag's (orchestre et chorale) : Maxime Corroënne, premier
violon à l'opéra de Paris. C'est son fils Pierre heureux d'avoir découvert ce
Soleil Saganais où il était question de son père qui m'en a transmis le scan. Janvier- février 41: Gala de la
chanson française. Dans le Soleil Saganais n°
5 du 16 février 41, Jean Vicherat qui a confié l'élaboration du programme à
Théodore Gouin, son chef d'orchestre, s'exclame : Le gala Courteline, de décembre, nous avait rappelé
l'esprit français, celui de la chanson française nous rappelle simplement que
nous sommes français. "Un gala de la chanson française à Sagan !
Voilà de quoi faire frémir l'ombre de M. Talleyrand ! (en 1845 Talleyrand
était prince de Sagan). Une France vibrante sur la scène de notre théâtre,
follement acclamée par un parterre transporté, voilà n'est-il pas vrai une
manifestation toute particulière qui mérite d'être signalée en même temps que
la sportivité bienveillante des autorités qui dirigent le camp." Au cours de ce gala de la
chanson française, les Fol's Sag's Jazz interprètent avec brio des morceaux
et arrangements de René Beaux. Mais on y chante aussi
l'opéra : "La bohême" dans laquelle Rousseaux est une excellente Mimi et Mothe un juvénile
Rodolphe affirme Jean de Lébrijes. Les voici sur une photo appartenant à
l'album de Ray Mothe. En finale de ce spectacle, la chorale (née en août 40 elle
n'avait alors qu'un coin de la baraque de repos pour répéter) dirigée depuis sa création par Charles
Duquesnoy, secondé par Delplani,
reprend les refrains de nos plus caractéristiques chansons populaires tandis
que défilent nos provinces avec leurs représentants vêtus de costumes
régionaux merveilleusement pittoresques. Henri de Fitte sur son album
(fond rouge) Ray Mothe sur le sien (fond gris) ont collé la même photo du
tableau final du "Gala des Chansons françaises". De Fitte nous
apprend que cette apparition blanche, c'est la France (Rousseaux) au milieu
des Provinces. Ray Mothe a dessiné lui une caméra projetant sur un écran
"Prisonniers" !!!
Pourquoi ? Je suppose que le spectacle a été filmé et que ces images
ont été utilisées dans le film de propagande de la Wehrmacht "Prisonniers"
montrant que les prisonniers de guerre étaient bien traités, heureux de vivre
et jouissaient d'une totale liberté d'expression.
Sur cette même scène, en ce février 41, ont posé les
artistes des Fol's Sag's. Henri
de Fitte est le premier à droite assis par terre au ras de la scène. 10 février 41 : concert d'adieu des sanitaires des Fol's Sag's. "un grand gala musical est placé
sous le signe de l'adieu imminent adressé par les sanitaires de la troupe à
leurs amis et camarades" nous
dit Th.Gouin, n° 26298, dans le Soleil Saganais n°6 du 28 février 41 Charles Duquesnois interprète une mélodie
écrite sur un sonnet de Jean de Lébrijes. Maxime Corroënne, violoniste à
l'opéra de Paris, dirige fermement et intelligemment l'orchestre dans la musique
du ballet "Coppélia". Albert Bergerault obtient son succès habituel
dans "le galop pour xylophone" de Gustav Peter. Bébert a raconté à
son retour à Ligueil que la partition lui avait été procurée par son chef de
baraque allemand. Gillet, 1er prix du conservatoire de Paris, est
impeccable de technique dans "variations pour flûte sur le carnaval de
Venise". Delplani se taille un beau succès avec "le lamento de Lefèvre est-ce Maurice
Lefevre, n° 76 ? Sa fille Anne-Marie a retrouvé 8 programmes de théâtre
complets (hiver 41 à novembre 43) conservés comme des trésors, bien pliés au
fond d'une boîte en fer rouillée et cabossée marquée "Petit beurre
Caïffa". Cela permet au moins d'affirmer qu'il avait aimé les spectacles
joués au camp. 10/3 1941:
Ce soir nous avons fait un petit concert.
Nous avons heureusement dans la baraque- la 14- l'équipe du théâtre du camp,
consignée comme nous. Elle nous a donné un programme épatant avec exhibition
de clown, d'équilibriste. Très bonne soirée .(Carnet de Joseph Guérif) Carême 1941
(du mercredi des Cendres : 25-02 à Pâques :13-04) on joue "La Passion". La
couverture du livret est l'œuvre de Christian Sandrin 30/3/1941: Je
viens d'assister à une représentation de " Pâques 13/4/ 1941 : 1er spectacle de
Music Hall pour le gala de réouverture
du théâtre rénové dont de Lébrijes
a repensé l'installation. L'architecte en même temps que régisseur c'est Léon
Tille, l'installation électrique et les lumières sont de Carraro, les décors
de R.Marcou. Pour ce gala, les affiches intérieures sont de Raymond Demouron
et extérieures de Christian Sandrin. Le metteur en scène, c'est Feursinger ;
le maître de ballet, c'est Riche, danseur à l'Opéra Comique de Paris ; le
chef d'orchestre, c'est Lockwood qui inaugure en ce dimanche de Pâques 1941
la fosse d'orchestre du théâtre réaménagé. André Thénard, acteur , se
souvient, dans "Flammes" de janvier 1945, du Music Hall au stalag : " Nous allons faire un petit voyage dans le temps et réveiller nos
souvenirs sur quelques numéros plus typiques. Du début, nous gardons un
souvenir particulier au charme exotique et si fin de "chrysanthème
41", illustration idéale des thèmes chers à Pierre Loti.
Les Fol's Sag's ont créé ce
spectacle inspiré du roman de Loti intitulé "Madame Chrysanthème".
Pierre Rousseaux en a écrit le livret et joue le rôle de Pierre Loti, officier de marine, dont la
geisha Chrysanthème interprétée par Gaston Joly tombe sous le charme occidental.(à
gauche : photo du bas). Chrysanthème et sa servante Chicho, Robert Hardy,
offrent la danse de l'éventail (au centre et à droite photo du bas). Le
paysage japonais si apprécié par Loti a inspiré à Marcou un magnifique décor
(en haut à gauche). Thénard évoque aussi : Une classique parade des soldats de bois
dont l'automatisme parfaitement réglé amuse toujours. Et un peu plus loin dans l'article: un pot pourri de
chansons de marins qui permet de revoir les cols bleus et les pompons rouges si
sympathiques Anne-Marie Lefevre se
rappelle que son père lui parlait souvent du théâtre au stalag lorsqu'elle
était enfant et qu'il lui montrait des photos en insistant beaucoup sur le
fait que toutes les "femmes" qu'on y voyait étaient des hommes. Il semblait lui-même ne pas
en revenir encore. C'est vrai qu'il y a de quoi s'y méprendre en regardant
cette photo de Gaston Joly que Maurice Lefevre a découpée dans la revue
"Flammes". André Thénard précise que c'est lors d'un numéro de
music hall du spectacle "Avec le sourire " intitulé "La Valse" que Joly apparaissait,
avec beaucoup de grâce, en jeune fille vêtue d'une longue robe de tulle. La photo a été largement
diffusée à l'époque sous forme de cartes postales, vendues au profit des
familles nécessiteuses du stalag, gagnées à la kermesse… André Thénard a également
apprécié Joly en Joséphine Baker : Enfin "chez Joséphine" nous entraîne à De Fitte et Mothe ont aimé
aussi ce sketch. Ray Mothe a même dessiné le profil de Lucien Fanni
chantant un succès de Chevalier : "Donnez moi la main mam'zelle".
23/5/ 1941 : "La Marche des Fol's
Sag's" clôture désormais
chaque spectacle inauguré par "La Saganaise". Les
paroles sont signées Jean de Lébrijes et la musique René Beaux. En voici le texte du
refrain : C'est le coin préféré du Stalag /Les Fol's Sag's
(bis) /C'est là que vit la bonne humeur française /Et que s'apaisent /Tous
les tourments /En plein stalag et malgré la distance /C'est l'apparence /De
notre France /Car les Fol's Sag's nous mènent tout à coup /Jusque là-bas…
Chez nous. 14 juin 41 à 14h, nouveau gala de
la chanson française. A nouveau
théâtre doté d'une fosse d'orchestre, nouveau gala. Le directeur convie
pompeusement les V.I.P. du camp. Est-ce Ray Mothe lui-même qui en manière
d'autodérision a peint ce timbre qui rappelle que les flonflons de la fête se
déroulent à l'ombre du mirador ? Le 5 juillet 41, Les Fol's Sag's fêtent leur 1er
anniversaire. Le spectacle débute bien
sûr avec l'orchestre qui joue "La Saganaise". Puis André Thénard présente
le programme avec au menu : Les clowns. Le fakir. Les danseurs fantaisistes Bob
and Betsie (Joly et Riche de
l'Opéra Comique). Le chanteur
fantaisiste (Lucien Fanni dans ses imitations inimitables de Maurice
Chevalier). Le galop de xylophone (par Bébert et l'orchestre). L'ouverture de "la Dame de Pique" de Franz Von Suppé, musique autrichienne
populaire, vigoureuse et enjouée (dirigée par Lockwood ?). "Les amours de Jean-Pierre", opéra comique
bouffe, en 1 acte à la manière de
Rossini, d'après Bétove, pseudo qu'avait
choisi le musicien et humoriste Michel Maurice Lévy amusé d'entendre les
français prononcer ainsi Beethoven (Les interprètes sont Jean Charquet, René
Lafforgue, Gaston Joly, Pierre Roth, Patoum et Nérot). Les prunes, poème de Daudet par Jean Deguergue de l'Atelier (théâtre parisien),
celui dont Patoum nous a dit qu'il se promenait dans la baraque en marmonnant
et récitant du théâtre. La fille du régiment, opéra de Gaetano Donizetti (composé en 1838 sur un livret français pour
l'Opéra Comique) est jouée par l'orchestre. Les acrobates excentriques Ilès et Romano. Patoum nous a spécifié qu'Ilès, du cirque Médrano,
était un descendant des Fratellini. Tertulia Sevillana, comédie musicale en un acte de
Jean de Lébrijes ( La tertulia,
c'est une réunion informelle au cours de laquelle un thème particulier est
abordé). La prima Dona,
Mon père Henri Millet n°
36529 parti en commando depuis juillet 40 n'a pu ramener aucun souvenir de
cette 1ère année des Fol's Sag's. En ce 5 juillet 41, à 2
jours de son 27ème anniversaire, il se morfond dans son commando
de terrassement à Stradam (village situé à 215 km à l'est de Sagan). Il
préfèrerait de loin au maniement de la pelle et de la pioche celui du pinceau
et du crayon. Il se demande s'il va
pouvoir revenir au stalag VIIIC qu'il a quitté depuis 1 an pour y entrer à
l'atelier Île de France et participer à la vie artistique du camp. Fin juillet 41, un garde
allemand le ramène au camp. Il est admis au revier (infirmerie) parmi les
prisonniers malades et inaptes aux travaux de commando. Le docteur Joseph le
Guern (de Brest) qui s'intéresse de près à la vie artistique de l'atelier le
prend en amitié. Il apprécie les dessins qui occupent les journées de son
"faux malade" et le met en relation avec le chef de l'atelier Île
de France, Jean Boulard. Henri Millet entre à l'atelier dès la vacance due à
un rapatriement: celui d' Henry Beauvois ? Octobre 41, Henri Millet
est parmi les peintres exposant dans le cadre des "Journées du Maréchal"
tandis que ses collègues Ray Mothe et Pierre Rousseaux se produisent
également dans "La Veuve Joyeuse". C'est pour lui le premier
spectacle des Fol's Sag's dont la mélodie : "Heure exquise qui nous grise lentement… éveillait chez lui
une émotion qui le transportait là-bas on ne savait où… Rendez-vous au prochain
chapitre à la rencontre de ce grand évènement que fut la création de "La
Veuve Joyeuse" aux Fol's Sag's. Retour au menu |