Chapitre 9 : l’atelier Ile de France et les grandes expositions du
camp
9 - C : Création du
cercle Pétain au stalag VIIIC par Maders Le
1er janvier 1942, un cercle Pétain est fondé au stalag VIIIC par André Maders,
PG 32478, homme de confiance principal, deux mois après la grande
manifestation des “journées du Maréchal” qu’il a organisée. C’est
son successeur Pierre Guérin, PG 50920, qui relate le fait dans un rapport
remis aux archives militaires le 20 février 1946. Guérin précise que ce
cercle a été organisé selon des directives transmises à tous les camps par
les services “Scapini” installés à Berlin. C’est G. Baud, “le délégué
Scapini”, qui a recommandé la création d’un cercle d’études de la révolution
nationale pour opposer un front actif au courant “Jeune Europe” qui essaie de
s’implanter au VIIIC. Ce
sont en effet les services “Scapini” qui ont conduit une vaste action
idéologique à l’instigation du régime de Vichy en vue de la création de
cercles Pétain dits “Cercles de la Révolution nationale” dans tous les camps.
Certains stalags inaugureront le leur dès le milieu de l’année 1941. La
dénomination exacte de ces services “Scapini”, c’est “services diplomatiques
des prisonniers de guerre” qui a pour sigle “S.D.P.G”. Leur création remonte
au 16 novembre 40, date à laquelle Vichy se substitue à la puissance neutre
(Les Etats-Unis) censée faire appliquer les conventions de Genève, et envoie
à Berlin un service diplomatique chargé du sort des prisonniers. A sa tête
est nommé avec le titre d’ambassadeur Georges Scapini qui a voté les pleins
pouvoirs à Pétain en juillet 40. Scapini est aveugle : il a perdu la vue pendant
la 1ère guerre mondiale, en 1915, en Artois. Son rôle est en principe
d’améliorer la condition des soldats prisonniers en Allemagne. Mais il lui
arrivera de détourner les conventions de Genève protégeant les PG pour
complaire aux allemands. En
novembre 41, ce sont les signatures de fidélité à Pétain des PG du camp et
des kommandos recueillies au cours des “journées du Maréchal” des 24-25-26
octobre 1941 que Maders porte à la mission Scapini à Berlin. Yves
Durand dans “Prisonniers de guerre 1939-1945” affirme qu’elles seraient au
nombre de 33000, d’où il en déduit que le stalag le plus pétainiste fut
certainement le VIIIC. C’est
dans le “Soleil Saganais” de décembre 41 que Maders rend compte du succès de
sa démarche. Il remercie “tous” les PG des kommandos et du camp pour avoir
revêtu le serment de fidélité à Pétain de leur signature en ces termes : “Vos
serments de Fidélité sont partis vers le Maréchal. Grâce
à la bienveillance des autorités allemandes, il m’a été permis de me rendre à
Berlin pour remettre aux services diplomatiques les serments de fidélité de
tous les camarades des kommandos et du camp ainsi que les objets offerts au
Maréchal Pétain. Le tout sera apporté en France par le chef de la délégation.
Ce dernier, ainsi que tous les membres des services diplomatiques, m’ont
chargé de vous transmettre leurs remerciements et de vous dire combien le
Maréchal dont nous sommes le souci constant, était touché par ces
manifestations émanant de ses fils prisonniers. J’ajoute
que j’ai emporté de cette trop courte visite l’impression réconfortante
d’avoir vu à l’œuvre les artisans de la France nouvelle. Malgré leur petit
nombre et la grande quantité des camps et des kommandos, les délégués
s’attachent de tout leur cœur avec un dévouement sur lequel on ne saurait
trop insister, à nous rendre plus facile notre vie matérielle et morale, vie
qu’ils connaissent bien d’ailleurs, car ce sont d’anciens prisonniers. Et
cela, je tenais à ce que vous le sachiez. Adjdt-chef Maders-32478- Homme de
Confiance.” Tous
les camarades des kommandos et du camp, ça fait combien d’hommes ? Le
même chiffre sans doute qu’au 12 juin 41, date à laquelle les délégués du
CICR (Comité International de la Croix Rouge) ont visité le camp, et ont fait
état de 35000 PG français : 6000 sont au camp et 29000 dans les kommandos
(tous les autres PG au nombre de 2000 sont serbes). Quoiqu’il
en soit, le dénombrement exact des signatures de loyauté au Maréchal est
incontrôlable. Rien n’indique qu’on ait pu en conserver la trace. Que nos
pères aient pu éventuellement apposer leur griffe n’atteste en rien le niveau
exact de leur allégeance à Pétain. Ce qui est patent, c’est le zèle de
Maders, de ses adjoints, de l’aumônier… à engager les PG dans une dévotion
totale au Maréchal. Le “Soleil Saganais” de décembre 41 en est encore le
reflet. Au
centre du journal un article est intitulé : “Le Mot de l’Aumônier… OBEIR” Je
vous en livre l’essentiel : “Il
faut avoir “la foi du charbonnier”. Il faut suivre le chef aveuglément sans
chercher à comprendre… maîtriser son jugement c’est dominer cette manie
d’ergoter que le français thésaurise plus que quiconque, pour accepter qu’un
autre - le chef - pense, décide et veuille pour nous. Au
lendemain de nos journées d’hommages au Maréchal, il m’a paru bon de vous
répéter après tant d’autres, mais avec toute la force de ma conviction
patriotique et religieuse : obéir ; ne veuillez que cela : OBEIR. M.
Olphe-Gaillard, Me 13858, Aumônier du stalag VIIIC.” En
dernière page, une invitation de Jean Védrine portant le titre de “Pour
préparer Noël” est formulée ainsi : “A
l’occasion des fêtes du Maréchal, on s’est
aperçu que le stalag constituait effectivement une communauté, unie autour de
son homme de confiance, représentant du Maréchal parmi nous. Et
nous allons fêter Noël et le premier de l’an ensemble en union de pensée dans
les kommandos et dans le Camp. Nous ouvrons un concours de “Contes de Noël”
entre tous les PG du stalag VIIIC. Le plus beau paraîtra au “soleil saganais”
et son auteur recevra un splendide portrait du Maréchal.” C’est
Pierre Rousseaux, PG 12680, peintre de l’atelier île de France, qui a créé et
illustré le plus beau texte intitulé “Un soir pas comme les autres”.
Le numéro de Noël 41 a publié son conte de Noël que j’ai recopié
intégralement agrémenté de quelques unes de ses illustrations, dans mon
chapitre 4 intitulé “Rayons de soleil au stalag”. Si vous ne l’avez
pas déjà fait, lisez-le, il exprime tellement bien différents états d’âme par
lesquels passaient les prisonniers plus particulièrement en un soir de Noël
loin de la France, loin des leurs.
Jean
Védrine dit encore : “Nous vous suggérons de préparer pour les fêtes un
petit “coin familial” dans votre cantonnement . Mettez-y les photos de
famille, des croquis d’enfants, des agrandissements de portraits… il serait
joli de les grouper autour d’une image de la Nativité, d’un portrait du
Maréchal” (Piété pour Pétain sauveur à l’instar de Jésus ?) “Enfin nous penserons aux nôtres et nos lettres de Noël leur porteront espoir et courage” Entrer
en religion avec Pétain, l’insigne pieuse étant la francisque ? De
petites francisques apparaissent suite aux journées du Maréchal sur la
couverture du “soleil saganais” de
décembre 41 après l’immense francisque, du numéro d’octobre 41, que je vous
ai présentée dans le chapitre 8. Elles encadrent les noms du rédacteur en
chef, de l’illustrateur et du secrétaire. La
couverture de Noël 41, avec son paysage sous la neige, illustration de Roger
Roux de Beaune, PG n° 37483, peintre de l’atelier île de France, présente la
même caractéristique. Juillet
1942, les francisques sont toujours là. Après ?
C’est
donc le 1er janvier 1942 qu’un cercle Pétain voit le jour au stalag VIIIC. D’après
un rapport de Pierre Mordacq, dernier homme de confiance principal,
l’effectif de ce cercle ne dépassa guère 250 hommes au camp et 2500 en kommandos. Le
fondateur et président du cercle de la révolution nationale, c’est
l’Adjudant-Chef André Maders de l’armée active du 94ème Régiment d’Infanterie
de Nice, PG n°32478 et homme de confiance principal au VIIIC. Il
exerce cette fonction de novembre 40 jusqu’à fin juillet 42. Il est rapatrié
par le 1er convoi de la Relève le 21 septembre 42. Maders
n’est pas le 1er homme de confiance comme je l’ai cru longtemps. C’est
l’Adjudant-Chef Delas qui l’a précédé dans cette fonction. Delas
était le chef d’une baraque de sous-officiers réfractaires au travail et
l’organisateur d’une troupe théâtrale en juillet 40 (cette troupe a-t-elle
quelque chose à voir avec les futures Fol’s Sags ?). Il a été reconnu à ce
moment-là comme homme de confiance principal du Stalag VIIIC par les
allemands. En
novembre 40, il quitte le VIIIC avec des PG nord africains vers un autre stalag.
Le 21 novembre 40, Joseph Guérif note dans son carnet ce prochain départ des
nord-africains auxquels sera rattaché son camarade Ferrand. Delas
désigne Maders pour le remplacer. A
son tour, Maders pressentira Pierre Chigot, PG 19769 et Jean Védrine, PG 32808
comme hommes de confiance adjoints. Védrine nous en parle ainsi : “Il
y avait un Adjudant-Chef, le grade au-dessus du mien, un type très, très
bien, un militaire de carrière qui s’appelait Maders qui était déjà homme de confiance
principal quand je suis arrivé. C’est lui qui m’a dit : “Il faut que tu sois
Homme de Confiance”. Parce-que
j’étais sous-officier ça paraissait normal dans l’armée” En
septembre 42, Maders ne peut demander à être remplacé par Védrine, rentré en
France en août 42 comme sanitaire (sanitaire : PG rapatriable pour des
raisons de santé). C’est
alors l’adjudant Guérin Pierre (réserve) 112ème régiment d’infanterie à
Marseille, PG 50920 qu’il désigne pour lui succéder et qui tout naturellement
devient également président du cercle Pétain. Guérin est confirmé par un
collège électoral restreint (représentants régionaux des chefs de service
français). Il
prend comme adjoint Pierre Mordacq, Maréchal des logis, 7ème GRDI (7ème
groupe de reconnaissance de division d'infanterie, de Saint-Omer),
négociant-agriculteur, de Blaringhem dans le Nord qui se présente ainsi dans
un rapport remis le 11 juin 45 aux autorités militaires : “En
dehors de quelques mois de travail dans les différents services du camp, tels
que poste, tris de colis, trésorerie… j’étais sous-officier réfractaire au
travail jusqu’en septembre 42, date à laquelle l’Adjudant chef Guérin, qui
venait de succéder à l’Adjudant Maders, comme H.d.C principal du stalag
VIIIC, me demandait d’entrer dans ses services.” Pierre
Guérin exerce ses fonctions du mois de septembre 42 au 16 novembre 43, date à
laquelle il rentre à l’hôpital. Il est rapatrié sanitaire le 11 janvier 44. Dans
un rapport sur l’activité du stalag VIIIC de juillet 1942 à décembre 1943, il
nous dit que : “Le
cercle Pétain s’occupait uniquement d’études théoriques sur les réformes
intervenues en France depuis 1940 et de former des élites intellectuelles. La
propagande des cercles Pétain était surtout axée sur la politique intérieure
du régime. Les aspects sociaux de celle-ci, le “moralisme” de la Révolution nationale, l’“apolitisme” à base de “Technicité” sous lequel elle se présentait volontiers, étaient
de nature à trouver le plus large écho dans l’atmosphère confinée des camps. Le
cercle Pétain avait pris, dès sa formation une position neutre en politique
étrangère, contrairement à ce qui se passait sans doute dans d’autres camps.
Cette position fut rapidement suspecte aux allemands qui, dès le début,
considérèrent le cercle comme un un foyer d’anti-collaboriationnisme. La
situation se corsa dangereusement quand un membre du cercle Pétain, Pierre
Garel expulsé du cercle en septembre 42 à cause de ses opinions pro-
allemandes, fonda un autre cercle dénommé “Jeune Europe” qui se lança
aussitôt dans une active propagande collaborationniste. Dès ce moment la
lutte ouverte entre les 2 cercles ne cessa de grandir et le cercle Pétain fut
plus que jamais suspect aux allemands au point que son président fut
brutalement destitué du jour au lendemain par le commandant du camp.” Pierre
Guérin omet de signaler que le président, c’est lui. Dans
son rapport, Mordacq dit que Pierre Guérin, président du Cercle de la “Révolution
Nationale” en a été évincé par les
allemands vraisemblablement sur l’instigation de l’Officier-conseil Gasser. Pierre
Mordacq nous en dit un peu plus sur la fondation du Cercle “Jeune Europe”
au VIIIC : “C’était
un mouvement fondé par Garel, PG 33849, instituteur à Angers avec le concours
de Raymond Douillet, PG 37898, instituteur à Lyon, Marcel Lazignac, PG 14699,
instituteur à Limoges, Robert Widlund, PG 21579. Appuyé naturellement par les
allemands, le groupement se manifesta activement au camp par des conférences
publiques violentes : attaques contre le général de Gaulle, le Général Giraud
et l’Honneur de l’Armée française. Ce groupe fut combattu par l’immense majorité
des PG du camp et des kommandos et par le Cercle Pétain lui-même. Tout
cela était appuyé par le Lieutenant Gasser, Officier d’Active française,
collaborateur notoire, qui fit au camp un mal considérable.” Pierre
Guérin nous parle de ce lieutenant Gasser arrivé au camp aux alentours de
septembre 42 en tant qu’Officier-conseil chargé de seconder l’homme de
confiance, mais qui en fait n’aurait pas tenu son rôle : “Au
lieu d’aider l’H de C. dans sa tâche et de s’occuper avec lui de défendre les
PG et de s’occuper à améliorer leur sort, il se préoccupa d’abord et avant
tout de politique, et de politique collaborationniste. Il chercha par des
réunions et des conférences à faire pression sur l’esprit de nos camarades,
mais son action fut si maladroite qu’il dressa rapidement contre lui la
quasi-unanimité du camp (sauf quelques collaborateurs) et que ses relations
avec l’H. de C. furent réduites à leur plus simple expression, c’est-à-dire
aux seules relations officielles indispensables et inévitables.” Jean
Védrine dans “Dossier PG, rapatriés 1940-45” va dans le même sens : “Les
“collaborateurs” avaient très
peu d’audience dans les camps, mais ils nous créaient beaucoup de
difficultés, d’une part en se plaignant constamment de nous auprès des
allemands, d’autre part en essayant de créer la confusion dans le camp entre
leurs initiatives et les nôtres, ce qui pouvait abuser provisoirement des
camarades naïfs ou déboussolés.” Pierre
Guérin continue : “Gasser
vécut donc pendant des mois seul dans une baraque avec pour seules relations
les membres du groupe Jeune Europe et les officiers allemands. Il soutint de
tout son poids ce groupe collaborationniste auprès du Sonderführer Becker
chargé de la “Wehrmacht propaganda”
et des loisirs français et son action nous fut néfaste. Becker, instituteur
borné, farouchement anti-français et nazi nous gêna considérablement par une
surveillance constante cachée sous une fausse bonhomie. J’étais
personnellement constamment en lutte ouverte contre lui car il ne cessait de
chercher à m’entraîner dans sa politique de rapprochement franco-allemand à
sens unique et il me procura de multiples ennuis de toutes sortes.” Tout
comme Gasser ne tient pas son rôle d’Officier-conseil auprès de l’homme de
confiance, Becker ne tient pas son rôle de “Betreuer” auprès du Commandant du camp, le Colonel (Oberst)
Wehrmacht Patermann. Parmi
les services de Patermann, comme dans tous les camps, il y a le “Betreuung” (“Wehrmacht Propaganda”, service de la propagande) qui a à sa tête un “Betreuer” (officier de la propagande) Le
“Betreuer”, c’était un officier
allemand dûment choisi en raison de sa connaissance de la langue et de la
mentalité française et qui était affecté à la “prise en charge idéologique” des PG. Son rôle était de surveiller, de censurer
au besoin, les activités “culturelles”
des PG et d’inspirer ces activités de telle sorte qu’elles servent les
intérêts allemands qui étaient d’avoir des PG soumis à leur sort et efficaces
au travail. En effet l’objectif était moins de gagner les PG à l’idéologie
nazie que d’assurer leur parfaite soumission à leur sort et leur parfait
rendement au travail. Le
lieutenant Becker, lui, s’occupait beaucoup plus de politique que de son
travail effectif et exerçait à travers les loisirs une propagande honteuse.
Il était l’instigateur des groupes de collaboration. Est-il utile d’ajouter qu’il
était un membre influent du parti national-socialiste ? Au
stalag VIIIC le cercle Jeune Europe comptait une vingtaine de membres qui se
renouvelait au fur et à mesure que les plus anciens partaient vers la France. Dans
tous les camps, les adeptes d’un tel cercle étaient peu nombreux, mais très
actifs. Ils adhéraient ouvertement à l’idéologie national-socialiste ou
fasciste, ils prônaient l’alignement pur et simple de la politique intérieure
de leur pays sur le régime nazi et faisaient de son intégration dans l’Europe
hitlérienne le centre de leur propagande “Jeune Europe” ou “Nova Europa”
qui était le nom de leur revue. “L’année
43, pendant laquelle j’étais l’adjoint de Guérin”, nous dit Mordacq, “a surtout été une année de
lutte contre les éléments politiques du groupe de collaboration “Jeune Europe” qui était patronné par l’officier Conseil, le
lieutenant Gasser.” “Le
groupe “Jeune Europe” luttait
ouvertement contre l’influence de l’homme de confiance et du Cercle” nous dit Védrine. Si
la collaboration n’intéressait qu’une minorité au VIIIC, qu’en est-il de la
résistance ? Pierre
Guérin, toujours dans son rapport, écrit : “Jusqu’à la fin 1943, il n’y a
pas eu à ma connaissance au stalag VIIIC de coopération active aux mouvements
de résistance existant en France et chez les Alliés. Il y avait naturellement
des gaullistes et nous étions presque tous d’accord pour suivre avec intérêt
ou passion les progrès de la France libre. Mais le manque de renseignements
précis et l’éloignement nous tinrent à l’écart de tout mouvement coordonné.” Jean
Védrine toujours dans “Dossier PG,
rapatriés 1940-45” se rappelle que : “Il
y avait chez nous peu de divisions politiques. Une masse pour qui Pétain
était à la fois le chef de l’Etat, l’homme providentiel et le “grand’père”. Personnellement,
j’avais viré ma cuti pétainiste depuis mon retour de captivité (août 42).
J’avais conservé pour le vieux Maréchal, une “pitié filiale”, je ne mettais pas en cause son patriotisme, mais
sa lucidité, sa volonté, son courage, toutes capacités qui subissent
gravement les atteintes de l’âge. Aussi, étais-je libre de toute dépendance à
l’égard de qui que ce fût, je n’étais plus disposé à une quelconque
allégeance. Il
y avait chez nous des “gaullistes”
dont le nombre augmentait naturellement avec les victoires alliées, des “giraudistes”, plus strictement “combattants” (l’évasion, en avril 1942 du général Giraud de la
forteresse de Königstein avait eu, malgré les représailles collectives
ordonnées par Hitler qu’elle avait provoquées, un retentissement considérable
dans les camps suscitant partout l’enthousiasme) et de nombreux autres qui
s’accommodaient fort bien d’une double allégeance à Pétain et à de Gaulle.
Aucune difficulté entre nous. Il
n’y avait pas des hommes de droite d’un côté, d’hommes de gauche de l’autre.
Le seul clivage véritable entre nous était réalisé par le comportement
individuel : dans notre petite société, il fallait peu de temps pour repérer
les salopards, les tricheurs, les crevards, les parasites, les asociaux et
les mouchards : ils étaient peu nombreux. Une
petite minorité était littéralement mise à l’index, exclue de la communauté :
les valets et les complices des gardiens et les partisans idéologiques des
nazis. Dans cette dernière catégorie se situait le groupe “Jeune Europe” du Camp.” Les
crevards ont été représentés humoristiquement par au moins 3 peintres de l’atelier
île de France : Henri Beauvois dans un carnet que m’a photographié page par
page Michelle Guérif ; Xavier de Traversay (dessin transmis aussi par
Michelle) qui était réputé pour ses caricatures ; un certain J.B. que je n’ai
pas identifié et dont la copie des dessins m’a été transmise de la part du
musée martyrologe de Zagan par Anna Golaszewska.
Dans
le prochain chapitre, le numéro 10, je vous présenterai la vie au stalag
VIIIC, le plus souvent sous forme de dessins humoristiques. Les
artistes ont su montrer et parfois tourner en dérision la douloureuse
condition des captifs. L’ironie
ne permettait-elle pas à tout un chacun de se délester un moment de l’horreur
de son propre sort et ainsi de se sentir un humain libre souverainement de
rire de son infortune ? Retour au menu |